La voix de l'Atlantique

Dimanche 30 septembre 2012 Alors que Paradise croise par 44°23' S et 55°12' W... Ce matin, alors que le jour se levait au-dessus de moi, Au travers de la délicate brume nous entourant, Quelle ne fut pas ma surprise de tomber nez à nez avec une de ces femmes marins qui sillonnent le monde sur leur voilier, Comme si c'était du dernier chic ? Non mais sans rire, depuis quand les femmes troquent les jupes contre les cirés ! Eh bien croyez-moi ou non, non contente de faire son originale, la petite me regarde fixement de son grand air niais, Encore une de ces gamines mal élevées ai-je pensé au premier abord, je m'en vais lui coller une vague dans la gueule, elle va vite comprendre ! Mais, meilleur dans mes pensées que dans mes actes, et surtout trop sentimental sans doute, au lieu de corriger la vilaine, Je me laisse charmer par ses beaux yeux et lui demande ce qu'elle peut bien me trouver de si intéressant pour me fixer comme ça... La suite devient délectable, car de toutes les réponses que j'imaginais pouvoir sortir de cette mijaurée, celle qui arrive me coupe net : Comme quoi, même après plusieurs milliers d'années, on peut toujours être surpris, puisque la petite, Pourtant un spécimen de race humaine, bien connu pour sa bêtise aussi grande que son incohérence et son mépris de la nature, La petite, donc, me demande de but en blanc : "ça fait quoi d'être l'Océan Atlantique ?". Ah bah en matière de question piège, ça se pose là, pas de doute... Je me demande une fois de plus ce qui m'a bien pris de ne pas retourner son bateau à celle-là ce matin au lieu d'aller regarder ses jolis p'tits yeux, Mais bon trop tard, on va quand même pas se laisser démonter comme ça par un microbe, alors, empli d'assurance je lui réponds... Être un océan tu vois ma chérie, c'est un truc de dingue : d'abord tu es immense, ensuite tu es merveilleusement beau, et par dessus tout, tu es puissant ! Elle hoche la tête d'un air navré et me rétorque... "Et moi qui croyais que c'était la manière dont s'auto-définissait un homme... finalement, tu ne vaut pas mieux, si tu n'as rien de plus à me raconter... et moi qui pensais être amoureuse de toi !" Une bombe atomique, voilà ce qu'elle vient de me larguer... et on a vu ce que ça a fait comme dégâts chez mon cousin le Pacifique. Non mais pour qui elle se prend celle-là, à se moquer de moi comme ça, moi l'Atlantique, premier Océan, nommé par Hérodote, le père de l'Histoire lui-même, Moi qui lèche du même coup les glaces de l'Antarctique et les plages ensoleillées des Caraïbes, Moi qui suis tellement grand qu'on ne se réfère en général qu'à ma moitié Nord ou ma moitié Sud. Ah je les vois venir moi, les marins sur leurs bateaux, et leurs belles histoires au bistrot. On se fait bien mousser sur mon dos, là, pas de doute ! En attendant, on est bien content de me trouver quand il s'agit de pêcher les innombrables poissons que j'abrite, pour se promener peinard sur des paquebots de luxe, transporter du pétrole sur des supertankers ou faire la course sur des coques de noix. Je suis partout moi, j'ai chaud, j'ai froid, j'héberge quantité d'animaux, je croise des milliers de bateaux... et le mieux dans tout ça, C'est que quand j'en ai marre, il suffit que je m'associe avec mes amies les dépressions là-haut dans le ciel, On se fait une grosse colère, et ça remet tout le monde d'accord ! Et je te garantis, le plus prétentieux des marins devient humble quand je me fâche... Je vois son sourire s'agrandir, et elle me dit : "merci, c'est un peu ce que j'imaginais... mais ça fait du bien de savoir que l'océan a une âme !" De là, elle m'envoie un baiser, et reporte son attention aussi brutalement qu'elle l'a interrompue sur son voilier... Un beau dessin d'ailleurs, ce voilier, élégant et racé, rapide sans être trop léger... en plus d'une once de culot pas si mal placée, Cette petite a du goût dirait-on. Et moi, elle m'a rappelé, par un sourire et juste un peu d'amour, que finalement, Il reste encore quelques hommes en ce monde qui cherchent à me protéger, et savent que devant moi on doit montrer respect et humilité...