Il est 1H30, il fait nuit, mais pas une nuit obscure, une nuit entre chien
et loup et elle ne durera que quelques heures. Ce soir la lune ne se dévoilera pas, elle restera cachée par de gros nuages chargés de vent et
de pluie glacée. L’atmosphère est oppressante. Tout le monde dort, plus ou
moins bien car de gros blocs de glace à la dérive frappent la coque, ce
qui émet un son grave ; les plus petits morceaux qui nous encerclent en
masse résonnent comme si on tapait sur la coque au marteau... drôle
d'ambiance...
Je suis seule dans le cockpit et je veille sur un iceberg qui
s'est bloqué quelque part sur nos 90 mètres de chaîne. Nous avons passé
4H00 à nous demander quel serait son chemin et si on allait pouvoir dormir
tranquillement, mais là c'est sûr, il nous fonce dessus à la vitesse de
l'escargot... Ses quelques centaines de tonnes pourraient décrocher notre
ancre et nous serions bien démunis, sans pouvoir manœuvrer, entre lui et
les cailloux qui ne sont pas loin derrière. Pour couronner le tout, le vent
forcit et il se met à pleuvoir. Il faut que j'aille réveiller Arnaud, il
faut manœuvrer vite car le pachyderme n'est plus qu'à quelques mètres
devant l'étrave.
3H30
: ça y est, nous sommes enfin en sécurité. Désormais aucun glaçon ne peut nous
déranger. Nous avons mis du temps à nous libérer de cet intrus et à trouver
l'endroit parfait où “poser la pioche”. C'est la réalité de l'Antarctique,
pleine de contrastes. Tout paraît si simple quand il fait beau mais dès que
les conditions se corsent, il faut réagir vite et bien.
Nous sommes partis d’Ushuaïa le 29 janvier. La traversée du Drake fut
rapide car nous avons eu un vent de nord soutenu pendant les trois jours
de notre traversée. Notre croisière nous a tout d'abord menés à l'ile
Nansen, où nous avons pu nous mettre à couple de l'épave du Gouvernor.
Ensuite nous sommes allés à Paradise baie ; là, nous nous sommes arrêtés à
la base Chilienne de Videla et la nuit suivante dans la petite baie de
Skontorp.
Puis nous sommes allés à Port Lockroy, la base anglaise, puis à
Palmer la base américaine, où nous avons vécu comme un petit choc de retour
à la civilisation, tellement cet endroit semble développé. Au premier
abords les bâtiments ne payent pas de mine, mais en faite, ils sont impressionnants de par leur aménagement confortable et moderne. Bob, le
chef, nous en a fait visiter quelques uns dont la salle de sport et la
salle de cinéma. Malheureusement, nous n'avons pas été invités à visiter les
infrastructures scientifiques... Ensuite nous avons eu le doit à une
collation: “Américan cookies and coffee”. Plus tard nous avons pu nous
promener sur une les petites iles de l'archipel de Palmer et avons vu des
manchots Adélie, des éléphants de mer et des otaries.
Après cette belle
escale, nous sommes revenus à Port Lockroy afin de nous mettre à l'abri et
attendre qu'une dépression et ses vents forts passent.
Nous n'iront pas plus au Sud car les conditions ne sont pas favorables et
le vent du nord des dernières 24 heures a sûrement repoussé la glace vers
le Sud et bouché l'étroit canal Lemaire où nous voulions passer.
A plusieurs reprises lors de nos escales, Paul-Marie, notre guide Suisse, a emmené un petit groupe se balader sur les glaciers. Munis de crampons, de
cordes, de piolets et autres accessoires de montagne, ils sont allés défier
les pentes et les crevasses et ont pu profiter de panoramas spectaculaires,
tout cela dans des conditions parfaites, avec des températures relativement
élévées ( au moins 20°C), sous un soleil radieux.
Actuellement nous faisons cap au Nord et commençons à penser au retour.
Les
fichiers météo nous indiquent que la bonne fenêtre pour traverser le
Drake s'ouvrira mardi prochain. Il nous reste donc encore quelques jours pour profiter de
l'Antarctique. Ce soir nous serons à Cuverville, au pied d'une grande
colonie de manchots Papou. Ensuite nous avons prévu d'aller à Melchior puis
à l'ile de Déception.
A bientôt
Morgane et l'équipage de Paradise.
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